Difficile de passer outre son sérieux naturel et sa tendance à exagérer les situations. Lilith, en plus d'être particulièrement attachée aux notions de devoir, d'honneur et de tout prendre au sérieux est également pessimiste. C'est une faiblesse, mais également une grande force. Elle a tendance à envisager toutes les issues possibles d'une situation, en commençant par les pires. Cela la rend méfiante, difficilement approchable par moments et elle accorde rarement sa confiance sans avoir auparavant pesé le pour et le contre.

Elle est dans une logique rationnelle, presque froide la plupart du temps. De cela découle deux choses : Lilith n'est pas très douée pour les relations humaines et Lilith préfère cacher ce qu'elle ressent jusqu'à exploser. Jamais dans la demie-mesure, la jeune femme ne s'autorise à se détendre qu'auprès de personnes de confiance, ce qui donne souvent l'impression qu'il y a une carapace à percer. Et au fond, c'est sans doute vrai. Sous cet aspect distant et calculateur, vous pourrez trouver une jeune femme sensible, profondément vulnérable quant à son identité et à l'affection qu'on lui porte.

Et lorsque vous arrivez au dessous de tout cela, il y a cet passion, cet acharnement et cette volonté inébranlable. Passionnée, passionnelle, capable d'aimer sans conditions si on le lui rend, elle sait se montrer généreuse et à l'écoute s'il le faut. Parfois, elle ne sait plus comment réagir entre ce qu'elle ressent et ce que le devoir et l'honneur lui dicte de faire. Parfois, sa logique est brisée par une réaction imprévisible, nouvelle et inattendue. Car au fond, Lilith se cherche encore, n'ayant jamais pu être confrontée au monde extérieur comme son aîné, n'ayant jamais pu être simplement la personne qu'elle désirait être et pas ce qu'on attendait d'elle.

Petite créature étrange, à la beauté irréelle. Le bébé qu'elle était avait su très tôt conquérir le cœur de son frère. Comme elle aurait aimé pouvoir en faire autant avec le reste du monde.
Petite fille innocente et naïve, le concept d'illégitime était quelque peu difficile à saisir. Elle était simplement une enfant, entourée d'une famille bien compliquée. Son père était roi. Son père avait bien du mal à voir en elle autre chose que le fait qu'elle était le deuxième enfant, une fille qui n'était pas celle de son grand amour. Son frère était l'héritier. Prodige dans tout ce qu'il entreprenait, capable de séduire n'importe qui d'un sourire, qui l'aimait et l'acceptait telle qu'elle était. Puis il y avait sa mère. Simple courtisane, qui était radicalement différente de la reine tant physiquement que mentalement.

L'avantage de Lilith, c'est qu'elle avait de la volonté. Très vite, elle s'est mis en tête que si elle voulait être reconnue et appréciée, il lui faudrait faire au moins aussi bien que son frère. Acharnée, studieuse, elle ne disposait pas de ses facilités. Elle s'y est donc consacré corps et âme, et son côté sérieux lui permit de créer un lien avec son père. Là où son frère prenait les choses à la légère, elle était capable de s'y consacrer pleinement. Cela la remplissait de joie. Son père la reconnaissait, l'acceptait et était fier de son travail. Cela la poussa à en faire d'avantages. Elle ne s'arrêta pas aux cours traditionnels. Elle dévalisa la bibliothèque du château, s'efforça de comprendre les ouvrages les plus compliqués, les plus difficiles. Et pourtant, elle était encore un pas derrière Proba. Alors, elle demanda à subir les mêmes entraînements à l'épée.

Il y avait ces moments complices, entre eux. Elle l'adorait. Il était son pilier, son dernier rempart contre le reste du monde. Toujours capable de la faire rire, toujours capable d'être avec elle si elle le lui demandait. Infaillible frère. Intelligent, fort, et pourtant tellement à l'écoute. Peut être qu'elle s'était construite une vision de lui parfaite. Mais ça ne faisait que la stimuler. Elle poursuivait son ombre, s'acharnant à essayer de le dépasser. Elle redoubla d'efforts, tant académiques que chevaleresques. L'épée était devenue une passion, malgré elle. C'était le seul moment où son identité n'importait plus. Il n'y avait plus que l'épée et elle, que ses mouvements qui déterminait l'issue d'un combat. Il n'y avait plus qu'elle, dans toute sa splendeur.

Lilith n'avait jamais eu une haute estime d'elle-même. Mais elle maniait l'épée mieux que quiconque l'aurait soupçonné, et ses longues sessions d'entraînements lui valurent pour la première fois une reconnaissance extérieure à celle de sa famille. Elle existait désormais aux yeux des autres comme une princesse combattante, une jeune femme à la précision et à la vivacité surprenante. Et d'un seul coup, son monde s'ouvrit. Tout était désormais dans le champ du possible. Son aîné avait été envoyé à une académie militaire mais elle ne le suivit pas. Son destin à elle, il reposait vers l'égide blanche.

Progressivement, sa volonté de se prouver faisait de plus en plus de sens avec les serments de chevalerie. Faire ses preuves pour tout le pays. Si son frère était prince héritier, il lui faudrait choisir pour elle-même ce qu'elle deviendrait.

Et il y eut la guerre.

D'un seul coup, le reste du monde semblait être à couteaux tirés contre eux. Son père était convaincu que les dérèglements au Nord n'était que des manigances des mages d'autres pays, pour étouffer la grandeur de Cinis. Son père voulait la guerre. Alors elle l'aiderait, le supporterait et l'épaulerait durant toute sa durée. Elle serait à ses côtés, comme elle devrait l'être. C'était son devoir.
Puis son frère vint parlementer pour le convaincre de la paix. Défiguré, le jeune prince affirmait que la guerre n'était pas une option. Lui qui avait tout, lui qui était le parfait héritier décidait d'aller à l'encontre même des décisions de son pays. Comprenait-il simplement ce qu'il en coûterait d'arrêter la guerre maintenant ? Tous les efforts perdus, vains, toutes les vies qui avaient été engagées dans ce conflit ? Non. Il ne pouvait pas comprendre. Toute sa vie durant, il avait été un prodige. Il était incapable de comprendre la valeur et le prix d'un effort.
Pour la première fois de sa vie, Lilith se jura que ses efforts lui permettraient d'accéder au trône. Et pour sa plus grande surprise, son père approuvait cette ambition.