De manière générale, je n’apprécie pas la compagnie d’autrui, tout particulièrement celle des hommes. J’ai beaucoup d’aprioris à leur sujet, bien que je ne le montre pas forcément de manière intentionnelle. Ils sont bruyants et épuisants de par leurs remarques inutiles et leur hypocrisie. Il est très rare qu’une personne lambda cherchant désespérément à me raconter ses tracas quotidiens attire mon attention. Bien que ces situations ne me rendent pas totalement malade et soient essentielles à la cohésion d’un groupe notamment lors de missions, je préfère mes instants solitaires… Calmes… Reposants… Rien de mieux pour recharger ses batteries que quelques moments pour soi…

Dans la même lignée de pensée, je ne suis pas bavarde et je n’engage que très rarement une discussion. J’ai pour habitude d’utiliser des mots clairs et précis ainsi que des phrases courtes. Le reste n’est que du superflus, du vent à mes yeux. Et je ne parle pas LE VENT. D’ailleurs en parlant de mot, je ne sais pas très bien écrire, ayant arrêté l’école bien trop tôt - mais je sais lire.

On me dit souvent impitoyable et dénuée d’empathie ou de sympathie. Il est vrai que je ne comprends pas toujours les sentiments d’autrui, voire je les interprète très mal. Je n’écoute plus mes sentiments et mes émotions depuis longtemps - sourire ? ça se mange ? J’ignore même comment sourire convenablement. Mais que voulez-vous, ces émotions n’ont pas à venir s’immiscer dans un jugement rationnel. Un ordre est un ordre et il est incontestable.

En revanche, je reste une personne digne de confiance, discrète et loyale. Si un secret m’est confié, je l’emporterai avec moi dans ma tombe. Après tout, je ne fais que ce qu’on me demande. Il parait que je n’ai, par conséquent, aucune volonté propre et aucune ambition. Je n’ai pas pour objectif d’être carriériste et encore moins de me compliquer la vie. Je veux juste faire ce qu’on me demande, sans me poser de questions.

J’ai pour habitude de ne jamais attaquer en première. Je ne risposte que lorsqu’on m’attaque ou que je me sens en danger. J’utilise régulièrement mes techniques d’auto-défense apprises par le biais de mon Grand-père pour désamorcer un conflit ou faire crier les plus malins. Vous ne savez pas à quel point une personne peut monter dans les aiguës.

Je crois aux esprits et aux fantômes. N’essayez pas de me faire jouer avec une planche de Ouija.

J’aime mon corps et l’entretenir, tout comme mes longs cheveux. Il m’arrive assez souvent d’éternuer discrètement lorsque j’utilise mon don. J’ai d’ailleurs enrhumé et filé quelques maux de tête à certains.

Si vous voulez m'acheter, venez avec une boite de cookies. Il se pourrait presque que je vous remercie.

Claquant la porte de la chambre derrière moi, j’allumais la lampe à huile posée sur la table de chevet. Une légère odeur envahit la pièce alors que je me laissais tomber assise sur le lit. La paille du matelas émit un bruit croustillant tandis que j’observais un point fixe en face de moi, par delà la couche de mon voisin de chambré.

Absente l’espace de quelques instants, je repensais à mon grand-père loin de moi, à la capitale. Je me demandais s’il se portait bien, s’il prenait toujours soin de lui, s’il avait bien reçu la pension alimentaire…

Ce grand-père aimant auquel je tenais… Et qui m’avait certainement détesté à ma naissance.

Dans cette société, soit-disante égalitaire que nous promettait le royaume de Nebula, il était bien difficile de vivre en femme et de porter sur soi la marque de l’étranger. Mon père avait beau être un natif de la région de Korvo, ma mère venait des contrés désertiques de Pétram. J’avais hérité de son beau teint basané et de ses cheveux clairs et soyeux, mais aussi les railleries des passants. Quant à mon père, j’en avais le nez et les iris ambrées.

Grand-père n’avait jamais apprécié ma mère et la reconnaître en voyant mon visage l’irritait tout autant lorsque je n’étais encore qu’un nourrisson. Il y eut beaucoup de tensions au sein de la famille jusqu’à la perte successive de mes deux parents ; mon père ayant trouvé la mort dans une mine, tandis que ma mère s’était évaporée peu après le drame.

J’étais vulnérable et haute comme trois pommes lorsque le drame arriva. Pris de pitié ou se sentant seul, Grand-père changea finalement d’avis à mon sujet et décida de m’élever comme son propre enfant. J’étais peut-être la fille d’une étrangère, mais j’étais aussi le dernier souvenir de son fils. Était-ce pour cette raison qu’il m’avait travestie durant toute mon enfance ? J’ignorais à l’époque qu’il cherchait à cacher mon genre pour m’éviter les moqueries et les brimades à l’école, n’étant finalement persécuté que pour mes origines étrangères - ce qui en soit, était déjà bien lourd à porter. J’avais appris au cours du temps à laisser mes sentiments de côté et de les laisser parler. Lorsque les coups venaient à pleuvoir, mon don s’activait malgré moi et me protéger - fort heureusement.

Je ne me sentais bien qu’à la maison. Je me sentais en sécurité que dans la même pièce que Grand-père, ce vieux soldat… Un si vieux soldat, que ses os craquaient à chacun de ses pas. Lorsque je fus en âge de commencer à travailler, je n’eus d’autre choix que de mettre la main à la pâte aussi bien à la maison qu’à la mine, abandonnant l’école. C’était difficile pour “une” enfant de dix ans, mais au moins je dormais comme un loir la nuit tombée.

Je repensais à ces bons repas et à ces belles soirées passées au coin du feu… L’odeur imaginaire du bois de cheminée me fit frissonner les narines.

Souvent, Grand-père me narrait ses aventures et autres péripéties vécues lors de ses années au service de Nebula en tant que Clairvoyant. Chacun de ses récits me donnaient l’envie de suivre ses pas et d’échapper à ces mines ennuyeuses… En plus nous étions mieux payés ! Quelle ne fut pas sa surprise quand il eut vent de mon orientation professionnelle… Heureusement, il ne m’en découragea pas, bien au contraire.

Ce fut âgée de 15 ans que je sautais le pas pour rejoindre ces fameux Clairvoyants, affirmant ma féminité que je ne pouvais plus cacher. Je ne voulais plus être “celui” que j’avais prétendu être durant toutes ces années pour mon “bien”. Je ne voulais pas ressembler à mes congénères masculins que je commençais à détester de jour en jour. Malgré le travail fourni, je n’échappais pas aux moqueries et provocations indécentes de ces mâles à l’égo surdimensionné - très certainement comme toutes les autres Clairvoyantes pour qui j’éprouvais un profond respect.

Depuis huit ans, je m’étais un peu plus endurcie, m’entraînant quotidiennement, enchaînant les missions et versant une aide alimentaire à mon Grand-Père pour qu’il puisse subvenir à ses besoins à défaut de ne plus pouvoir travailler. Mes cheveux avaient poussé, mes techniques s’étaient affinées et mon jugement devint plus tranchant.

Je ne restais qu’une simple mercenaire, mais j’étais connue pour être rapide, discrète et soigneuse dans mes missions.

J’étais devenue la Amatora qui se tenait là, assise sur son lit, le minois rêveur attendant certainement que sa lampe de chevet ne s’éteigne d’elle-même.

Revenant à la réalité, je secouais brièvement la tête. Je troquais ma tenue du jour pour celle de nuit avant de m’enfoncer sous la couette légèrement fripée.