Lettre à moi-même
Cet écrit est destiné à la conservation des souvenirs concernant Nidj-ha Damei, génitrice de l'auteur, avant que la maladie n'emporte tout ce qu'il reste d'elle au sein de mon être, les souvenirs.

Nidj-ha Damei, jeune fille à la grande sagesse, communément appelée ma mère auprès de ma personne, n'a jamais été beaucoup présente auprès de moi ou mon père. L'esprit envahi par sa compassion pour ses "enfants", son peuple, plus précisément tout ceux qui n'avait pas la chance de venir d'une famille de grands marchands ou bien même de subvenir à leur besoin. Ceux mêmes pour qui la sélection naturelle n'avait pas de grands pronostiques. Elle a toujours voulu s'assurer que, dans sa cité au moins, le bonheur de ses habitants soit satisfait. Non pas un bonheur immense, mais un bonheur juste, sans demande extravagante. Chaque quêteur de plus qu'il en était nécessaire se voyait affubler d'une tâche à la hauteur de sa demande. Et ainsi, la prospérité de la ville fut construite. Les habitants travaillaient afin d'accomplir le bien commun et le bien personnel, assurant ainsi une régulation des finances.
Même si la présence affective auprès de sa famille n'était pas la plus grande de ses œuvres, Nidj-ha Damei mettait un point d'honneur à mon éducation afin que je lui succède ou la seconde dans un état d'esprit similaire au sien. Peut-être peut-on considérer cela comme de la manipulation, mais je suis fier de ce qu'elle a fait de moi au vu des tyrans de l'Histoire.
De ma génitrice, j'ai pris son goût pour la lecture et la philosophie ainsi que celui de l'art de la parole. Tout comme elle, je pense que des mots peuvent faire bien plus que des actes.
Au vu de mes réflexions et de certaines discussions rondement mené avec d'anciens amis de la dirigeante d'Aleg Tar, je dirais qu'elle est profondément bonne, ne cherchant qu'à faire le moins de mal possible, même entre deux choix désagréables, du moins je m'en convaincs.
Elle est partie une fois encore, à l'aube de mon arrivée dans la soixantaine d'années, afin d'entamer une recherche sur elle-même comme elle sait le faire. Je pense également qu'il est nécessaire de se remettre en question par le pèlerinage et la découverte approfondie des cultures peuplant Magna afin d'entretenir la sagesse qui fait sa renommée. J'espère la revoir avant mon décès.

Nidj-ha Som

"Nidj-ha Damei, ton fils est aujourd'hui né."
[...]
L'immortelle que je servais préparait en son soixantième anniversaire un sac, mettant fin ainsi temporairement à une vie de dirigeante sous un régime prospère qu'elle aimait certes, mais dont elle s'était lassé pour le moment. Son époux était mort avant-hier, elle l'eut pleuré hier et il était aujourd'hui temps de mettre de côté ces sentiments ressentis par la vieillarde. Un jour de deuil était suffisant pour ce qu'elle savait être inévitable. Qu'eut-elle su si ce n'est que sa peau lisse comme une jeune vierge avait depuis longtemps annoncé le glas apporté par sa résonance ? Une vie sans fin. Une histoire sans fin composée d'éternels recommencements. Ce ne serait pas le dernier homme duquel elle tombera amoureuse.
Humble domestique que je suis, Ellia de mon prénom, coiffe patiemment l'éternelle tout en étant assise sur le lit, à côté de ma maîtresse qui plie et range consciencieusement quelques affaires dans un sac en toile : des sous-vêtements de rechange et quelques tissus qu'elle arrangera en temps voulu pour confectionner un accoutrement dont la forme dépendra des jours.
"Nidj-ha Damei, es-tu sûr de vouloir laisser ton fils gouverner ta cité ?"
"Oui, Ellia, et c'est objectivement un adieu pour nous."
Je savais que la mort m'emporterait avant de revoir celle qui m'arracha un jour à la misère, mais je n'osai pas verser une larme. Après tout, la confidente que j'étais savait que bien que la mort fût un malheur pour certains, elle aurait dans quelques dizaines années plutôt l'aspect d'une délivrance pour l'être qui se dressait maintenant en face de mes yeux reconnaissants, sac accroché aux épaules telle une vagabonde.
Damei ne se donna pas la peine de déposer un baiser sur le front de son fils attristé par la mort de son père, seul parent présent de son enfance, peut-être voulait-elle éviter l'hypocrisie d'une mère aimante à l'aube de son voyage. À vrai dire, ce qui se rapprochait le plus d'une mère pour Som n'était autre que la modeste nourrice que ma personne osait être, ce fut donc moi qui lui apporta la nouvelle de la disparition de la génitrice.
"Nidj-ha Som, aujourd'hui majeur, tu gouvernes sous la tutelle de ta mère, prenant conseil auprès de celle-ci par les rapaces messagers de la cité à chaque fois que le doute est visible, saches que dans trente ans à partir de ce jour, elle reviendra pour reprendre ce qu'il lui appartient, acceptes-tu de lui donner alors sans aucun remords et de préserver son héritage ?"
"Oui."
Je déposai un baiser sur le front de Som, je serais là pour lui, tout comme je fus présente pour ma maîtresse autrefois.

Le voyage datant de vingt-neuf années avant sa fin commença.
La fleur qui ne fane jamais ne prit rien et s'envola au gré du vent comme elle fut venu au monde. Ne s'inquiétant de rien pour trente années et n'attendant de la vie que l'expérience et la sagesse que cette dernière pouvait lui apporter. Que le vent la ramène une année plus tôt n'avait alors que peu d'importance. Elle se prêtera volontiers, furent-ils ses mots, aux épreuves de la vie et au nouvel amour tel un bourgeon venant d'éclore qui affronte l'hiver et attends la semence au printemps. Une jeune fille à la peau blanche traversa le désert où elle était née, des fleurs qui ne fanent jamais sur les tissus protégeant son doux visage du sable et du vent. Elle traversa Gerudo en remontant vers l'Est. Les pétales subissaient un vent doux qui faisait marcher le phénix en constante résurrection vers le peuple des flammes. Après un court repos à la capitale de Petram, un moment pour quelques adieux aux amis de longue date et à ceux tutoyant déjà la mort entre deux bribes de souffle, la rose des sables reprit la course vers son pèlerinage. Un moment aussi fut pris à fort Alpea pour digérer le froid qui emplissait son pistil. Le vent soufflait toujours dans la même direction. Qu'importe, les longs et fins membres inférieurs étaient jeunes et avides d'aventures tandis que l'esprit se faisait une raison. La fillette de soixante années aimait le pays froid qu'était Cinis, dompté par leur Roi avec l'artefact du feu. Un paradoxe tout à fait charmant qui l'amusait beaucoup, imaginant par ses prunelles reflétant son grand âge que le peuple à l'allure glacial possédait enfouit des lueurs chaleureuses. Le chemin prit au gré du souffle de la nature s'arrêta dans le bois étincelant, plus particulièrement dans la cabane d'un homme de dix ans son cadet.
L'arbre fruitier d'Aleg Tar avait perdu une coquette fleur qui se retrouva en compagnie de ce pollen passager. Il permit à cette dernière de se métamorphoser en un fruit qui entama un long processus de maturation en corrélation avec un échange de culture et de méthode certain. S'en suivirent alors de longues discussions au coin du feu, mais aussi des sessions de chasse ou de cueillette. La vie était alors simple.

Cet amour bleuté enfouis entre les feuilles turquoise du bois étincelant se bonifia avec un mariage auquel fut convié quelque animaux sous un ciel azur. La bague au doigt de celle qui semblait trois fois plus jeune que son riche mari était incrusté d'un saphir. Les rayons du soleil printanier se reflétaient dans les iris marins de la fausse pucelle blanche alors qu'elle disait "Oui" à un homme improvisé chasseur depuis son installation dans le bois. Malgré son grand âge et sa grande sagesse, il ne manquait ni un jeu de mots ni une blague pour faire rire sa reine tel un bouffon jonglant maladroitement avec ses balles de cobalt.
Et l'amour était entraînant et non contraignant.
Et le désir fut mêlé avec son confrère le plaisir.

"Nous mangions bien, nous buvions bien, nous étions comme des dieux, habillés en bleu roi."
La biographie sans fin

Et puis le Rouge arrive à son tour. Comme un dernier tour pour égayer un bonheur déjà comblé, comme un énième perfide venant tester la solidité des chaînes de l'âme. Vil général emportant tout sur son chemin, général des flammes consumant chaque entité de la création. L'armée écarlate sous ses ordres commence par endiguer la majestueuse beauté du ciel, englobe les nuages et fait apparaître la sainte lune rouge, déesse de la guerre s'empressant déjà d'embrasser de ses bras son libérateur, son roi. Le roi Grenat et l'armée de Cinis ont un seul objectif, la destruction du Soleil. Le pays du froid ne souffle pas une douce brise sur le pays voisin, aujourd'hui, c'est une tempête de sang qui s'abat sur la nation marchande. Les guerriers versent le bordeaux de leurs ennemis sur le sol, faisant boire au sol l'espoir et la conviction des Hommes, mais surtout leur rêve évanoui. Celui de revoir un jour leurs familles, leurs enfants, mais surtout le partenaire de vie à qui ils avaient promis : "Jusqu'à ce que la mort nous séparent". Ce fut le dernier combat d'un chevalier commandant ce jour-ci. Un vieux soldat retraité dans la forêt, honteux d'avoir depuis longtemps partagé sa couche avec l'ennemi.

La benjamine du soleil attend dans le bois le retour du chasseur son mari. Comme ce fut le cas pour la jeune rebelle du désert, l'homme armé partit au crépuscule affronter son destin, allant en direction des cris, des peurs résonnant entre les premiers flocons du pays froid. Lorsque les arbres scintillent autour de la cabane sa maison, l'éternelle ouvre la gueule et gobe une bribe de neige. Cette dernière a un goût amer, le vieil homme son compagnon ne reviendra pas.
Les nouvelles se répandent alors que le temps efface même la rage des flammes.

L'aigle un matin vint à se poser en face d'une maisonnette habillée par le souffle glacé du vent, un petit parchemin accroché à sa patte. Il attend une jeune fille couleur neige vêtue de sang et d'espoir.
Le diamant ouvre la porte, ornée de rubis et de topazes, l'aigle pique en direction de sa proie, rayant de ses griffes la peau frêle de la veuve. Elle ne porte pas le deuil, il ne lui sied pas. Grimaçant de douleur, sa maîtresse le pose sur un présentoir en bois prévu à cet effet. Déroulant de ses doigts fins le message qui lui est adressé, ses yeux ne faillissent pas alors qu'elle le lit :
"Nidj-ha Damei, par la présente, je vous conjoins à revenir sans détour reprendre la cité qui vous est dû, Aleg Tar, afin de la gouverner un an plus tôt que l'ancien serment le stipule. Pour cause, ma personne, actuel dirigeant d'Aleg Tar, devra dans six mois assurer la fonction de sénateur et siéger à Gerudo, me laissant dans l'incapacité de préserver votre héritage.
Nidj-ha Som."
[...]
"La quatre-vingt-neuvième année de notre dirigeante s'achève aujourd'hui, mettant un point final à la première année du second gouvernement de la respectée Nidj-ha Damei, reconnue par ses pairs avant sa disparition trente années auparavant. Cette dernière reprit son poste un an avant la fin des trente années de règle de son fils, Nidj-ha Som, respecté de ses concitoyens et de la jeunesse, partie pour siéger au Sénat trois mois durant et de retour en ville depuis neuf mois désormais. Conseiller de sa mère comme elle le fut pour son fils, l'année de ses quarante-sept printemps fut celle où il s’engagea à fructifier les alliances de sa génitrice en la faisant connaître des plus jeunes dirigeants de la nation.
Nous fêtons aujourd'hui la quatre-vingt-dixième année de la venue dans le désert de la respectée Nidj-ha Damei, mère du peuple et dompteuse de sable, puisse cette dernière nous apporter sa sagesse et sa bienveillance comme elle le fit trente années plus tôt. Que la prospérité règne avec elle une année encore."

Le maître de cérémonie s'écarte pour laisser la figure du jour dompter la foule enjouée. Par ce jour de congé dans la cité du désert, les anciens crient à son recouvrement et adulent ses actions passés, leurs enfants quant à eux sont tous curieux par ce mystérieux couple de dirigeant. Un homme bien connu qui dirige la cité depuis aussi loin qu'ils s'en souviennent et sa mère confiante qui a le teint de sa progéniture. La curiosité se mélange à l'excitation alors que le timbre de voix de la jeune rose s’apprête à résonner. Elle crie de ses cordes vocales aussi pures que celle d'un bébé.

"Mais trêve de bavardage ! Arrêtons dès maintenant ce blabla ennuyeux ! Amusez-vous dans l'oasis, baignez vous, profitez du soleil avec vos familles, mais n'oubliez pas de bien boire et de bien manger avec tout ce qui est à votre disposition dans les banquets, plus qu'une fête à mon effigie, c'est celle de la cité et de ses habitants ! Aujourd'hui, vous êtes des rois sur lesquelles l'or et le sang bleu coulent à flot !"
Acclamation de la foule.