C’est une silhouette qui se perd dans les pétales de rose. Une silhouette qui court pieds nus, qui se jette contre les arbres, qui se laisse glisser, qui trace des cercles dans l’herbe, qui se relève, un bras tendu vers le ciel. Une danse frénétique, improvisée, un peu sauvage. Surprenante, hypnotisante, ces gestes ne sont jamais calculés. Authentiques, imprévisibles, brusques, et pourtant élégants et doux. Quelques pas chassés ; ses pieds frôlent la rivière silencieuse, projetant quelques éclaboussures sur sa droite. Elle virevolte sur sa gauche, son regard disparaissant dans un foulard de soie qu’elle jette en l’air.

Aussi chaotiques que ses danses puissent paraître, elles sont pourtant maîtrisées au millimètre près. Et elles représentent bien la personne qu’est Erina. Une personne qui semble incertaine, et qui pourtant sait très bien ce qu’elle fait.
Ce qu’elle fait, ce n’est pas vivre, c’est survivre. Parce que les journées se ressemblent toutes, parce qu’elle est las de tout, parce qu’elle n’a rien qu’elle aime réellement. Parce qu’elle a des dettes à rembourser, parce qu’elle a vu le vice dans les yeux des hommes, parce qu’elle a vu l’avarice s’abattre sur le monde.
Erina sait ce qu’elle fait. Elle survit. Inlassablement. Nourrie par une soif de montrer au monde qu’elle ne se laissera pas marcher dessus. Et pourtant, rien ne va jamais comme il faut. Le pessimisme coule dans son sang et son coeur bat d’amertume. Qu’on ne lui parle pas d’espoir, de meilleurs jours, de lendemain. Ce sont des niaiseries. Des conneries. Et aujourd’hui, elle ne sait plus trop pourquoi ou pour qui elle vit. Elle est comme une coquille vide. Elle ne sourit que pour charmer, pas par sincérité. Elle ne met de la volonté que lorsqu’elle n’a pas le choix. Et il y a cette sorte de colère et de rancune dans sa voix, lorsqu’elle sait que la vie n’est qu’une question de chance et de statut, qu’elle aimerait pouvoir être plus, mais qu’elle n’arrive à rien. Pas même à s’élever aux yeux de ses parents, de ceux qu’elle aime et qui ne l’aiment pas en retour. Alors elle a cette manière d’en vouloir à tout le monde, pour toute l’injustice qu’elle subit et qu’elle continue à subir.
Pourtant, derrière toute cette aigreur, dans sa voix et dans son regard, c’est bien une onde de mélancolie que l’on peut lire, et elle semble être plus vulnérable que ce qu’elle laisse croire. Plus vulnérable que la battante qu’elle s’imagine être, et qu’elle n’est pas. Mais qu’importe, car qui va réellement chercher à savoir qui est réellement cette danseuse un peu sauvage, surprenante, hypnotisante ?

La silhouette d’une femme qui rentre le soir, bégayant, titubant, riant en pointant du doigt les portraits de famille sur les murs, et s’écroulant par terre, s’endormant à même le couloir du hall d’entrée. La jolie blonde soupire et ne cherche même plus à porter la femme jusqu’à sa chambre, se contentant de la recouvrir d’une couverture, la laissant là, éméchée par terre, ivre de tout. Erina n’a plus la force de s’occuper de sa mère. Ni même l’envie. Et pourtant, elle continue de le faire, et les journées passent, lentement, lentement. Erina retourne s’asseoir sur la table du salon, observant le reflet fatigué de son visage dans sa tasse de thé. Cette nuit-là, elle restera assise telle une poupée sans vie au moins deux heures avant de s’endormir sur la nappe, lassée de son quotidien.

C’est dans le pays de Petram qu’a grandi Erina, entourée de parents aimant. Son père était un commerçant lambda, mortellement banal, ce célibataire qui ne croyait pas en la vie, qui vivait pour vivre, affreusement ennuyant. Il fit fortune du jour au lendemain, inventeur miraculé d’un parfum aux fragrances rares, soi-disant révolutionnaire. On s’arrachait le produit dans toutes les rues et ruelles de Gerudo, capitale du pays, et le succès fut tel que bientôt, l’on venait même des autres pays se procurer un flacon de cette douce arôme. Sa mère, elle, fille d’une troupe de troubadours, n’avait jamais rien connu d’autre que le jugement et la précarité, développant très vite une obsession pour la gloire et la fortune. La triste vérité de leur histoire commence au moment où leurs regards se croisent. Il ne s’agira pas d’une jolie histoire d’amour, il n’y aura pas de coup de foudre au premier regard, ni d’échappées romantiques. Lui, l’aimait pour sa beauté envoûtante et insaisissable. Elle, l’aimait pour son argent et sa renommée. Y avait-il ne serait-ce qu’une once de sincérité dans l’amour qu’ils partageaient, Erina ne le saura jamais vraiment. Mais c’est ainsi qu’elle était née, d’une histoire sans doute pas sincère. Mais qu’importe, car tous deux aimaient la petite d’un amour véritable.

Hélas, à quoi bon ? Les artisans le savent, le succès est souvent chose éphémère, surtout lorsque l'argent coule à flot, surtout lorsque la concurrence est rude et que la jalousie des uns pousse aux vices des autres. Aussi soudainement que son commerce avait fleuri, les affaires du père s'écrouleront bien vite, suite à des coups bas, des sombres histoires de manipulation, des promesses non tenues, des mensonges et autres perfidies dont Erina n’a jamais su les détails précis. L’adolescente n’a alors que 12 ans lorsque tous les problèmes sont venus frapper à sa porte. Tout partit si vite de sa vie. Son quotidien aisé, ses amies, sa maison. Son père. Son père, lâche qu’il était, avait fui en emportant avec lui les dernières ressources de la famille afin de survivre. La seule chose qu’il resta à Erina et à sa mère, ce furent les dettes, l’incertitude et les responsabilités.
Hébergée chez de la famille dans un premier temps, Erina dût mettre de côté sa scolarité afin de rapporter l’argent au foyer. Ce fut également le cas de sa mère, qui n’avait plus travaillé depuis qu’elle s’était mariée. A ses côtés, Erina apprit l’art de la danse et de la séduction, des ruses et du vol.

Voilà donc 10 années déjà que la jeune Erina danse pour voler quelques bourses d’argent aux touristes et aristocrates charmés. 10 années qu’elle vit sans savoir ce dont elle rêve, si ce n’est de pouvoir enfin vivre sa propre vie, et d’arrêter de devoir rattraper les erreurs passées de son père et de sa mère devenue droguée et alcoolique. On dit souvent que Petram est le pays de l’égalité, pourtant, Erina n’y croit plus du tout. Des nuits durant, sa rancoeur est telle qu’elle en veut au monde entier, et qu’elle s’imagine pactiser avec tous les diables possible pour que les autres puissent connaître la misère qu’elle a dû subir. Juste pour le plaisir de voir d’autres mondes s’effondrer. Car voilà, Erina ne sait plus tout à fait si elle a envie de réussir dans sa vie, ou si elle a juste envie de voir d’autres échouer. Elle n’est après tout que la fille de deux êtres qui ne sont pas tout à fait parfaits. Elle n’est après tout qu’une jeune femme mortellement banale, rêvant de gloire et de fortune, à l’image de ses deux ratés de parents. Après tout, elle n'est rien, et elle aimerait être... tellement plus. Et peu importe que cela soit en bien ou en mal. Elle n'a plus rien à perdre.