Hier soir, Son Altesse Nadya avait été contrainte d’interrompre mes recherches afin de me confier une mission diplomatique d’une haute importance, il semblerait. Etant elle-même retenue pour une raison semblable, il m’incombait donc la tâche de la représenter cette fois-ci. Je n’aimais pas vraiment ce genre de tâches, mais cela faisait maintenant partie de mes obligations en tant que disciple de l’Impératrice. Le protocole, les courbettes, le beau parler, tout cela m’importunait plus qu’autre chose. J’avais beau vivre au palais, je n’oubliais pas mes origines plus que modestes. Chassez le naturel, il revient au galop, comme on dit … Quoi qu’il en soit, Son Altesse m’avait remis une lettre officielle scellée, et m’avait expliqué en détail en quoi consistait ma mission : négocier avec la reine de Nebula un détachement de Clairvoyants afin d’aider Nix à surveiller sa frontière directe avec Cinis et Petram. Les tensions entre ces deux nations se faisant de plus en plus grandes ainsi qu’une affluence importante de réfugiés rendaient difficile la gestion de cette zone pour notre armée. La particularité de ce voyage était que j’allais changer d’escorte en cours de route, par mesure de discrétion. C’était donc un membre des Clairvoyants qui allait s’occuper de m’accompagner sur le territoire de Nebula. Je n’y voyais aucun inconvénient, mon opinion envers cette nation étant positive.


Nous étions donc partis très tôt dans la matinée, le voyage s’annonçant long. Trois membres de la garde royale composaient mon escorte : deux soldats et un mage. Quant à moi, j’avais prévu quelques ouvrages traitant de la magie sous le coude pour le trajet … ainsi qu’un livre de recettes de cuisine. Oui, c’était une erreur, il devait être mal rangé, et je l’ai sans doute pris par inadvertance, encore un peu embrumée après mon réveil. Eh bien, cela fera un peu de diversité, si besoin est … le temps, lui, semblait s’assombrir au fur et à mesure que nous approchions de la frontière. Une très légère pluie semblait même se mêler aux réjouissances. Cela ne me dérangeait aucunement, préférant les mauvais temps aux éclaircies. Les gens restaient chez eux, et il y avait par conséquent moins de bruit, ce qui favorisait ma concentration sur mes recherches. De plus, je trouvais le bruit de la pluie stimulant. Un grondement se fit également entendre : l’orage arrivait, apparemment. Fort heureusement, je n’étais pas encore habillée comme une représentante officielle de l’Impératrice. C’était même tout l’inverse : je portais mes vêtements amples et légers, plus agréables mais nettement moins raffinés, ainsi que quelques parures rappelant mon importance au sein de la société de Nix. Me préparant à notre arrivée imminente, je m’extirpais de mon traité sur la langue arcanique pour enfiler ma longue cape afin de me protéger des humeurs élémentaires. Peu de temps après, la calèche ralentit pour s’arrêter définitivement. Nous étions donc enfin arrivés, et ma nouvelle escorte était déjà présente. Elle se présenta sobrement comme étant Amatora Taigi. Les rênes du cheval sur lequel se tenait notre mage me furent alors tendues.


« Je vous remercie de cet accueil. Le voyage a été très agréable, en effet. »


Un rapide coup d’œil à sa personne me fit me poser plusieurs questions. Sa peau hâlée semblait typiquement être celle de quelqu’un venant de Petram. Son attitude aussi dégageait quelque chose qui me semblait particulièrement familier. Si n’importe quel noble se serait sans doute offusqué devant cet air que l’on pourrait qualifier de dédaigneux, cela ne m’importait guère. Je me doutais qu’escorter une personnalité étrangère importante était loin d’être la mission idéale pour un soldat. Elle reprit alors la parole, s’assurant de notre destination.


« C’est juste. Je dois bel et bien me rendre à Korvo. Je m’en remets donc à votre guidance, chère Amatora. »


Je m’inclinais légèrement devant elle, avant de congédier les gardes royaux, restant alors seule avec elle. Je soupirais longuement, avant d’enfourcher ma monture.


« Maintenant que nous sommes seules, si cela te convient, j’aimerais mettre de côté la bienséance. C’est particulièrement fatiguant et déplaisant, toutes ces cérémonies. »


Je l’observais longuement, la suivant, très légèrement en retrait. J’avais clairement ressenti chez elle une sorte de rigidité. Puisque nous allions devoir faire une longue route ensemble, autant essayer de savoir quelques petites choses sur elle et sur les Clairvoyants. Si je ne prenais pas d’initiative, je me doutais qu’elle ne parlerait probablement pas, ou seulement pour me donner des informations essentielles, rien de plus. Et puis, lire lorsque je dois guider mon propre cheval, ce n’est pas très bien indiqué.


« J’espère que vous n’avez pas trop de problèmes, à Nebula. Les Clairvoyants ne sont pas trop sollicités, avec cette guerre ? J’ai également entendu dire que la situation au Marais des Miasmes est toujours aussi compliquée ... »


Certes, c’était la faute de mon peuple si cette zone était un véritable désastre ambiant. Cela dit, si en tant que mage, je reconnaissais volontiers que les miasmes étaient une arme sacrément bien ficelée, en tant qu’humaine j’étais en désaccord avec son utilisation. Peut-être irais-je les étudier, lorsque j’aurais terminé ma mission diplomatique … L’Impératrice ne m’avait pas donné d’impératif de retour, après tout. Je pouvais très bien lui faire parvenir une missive afin de lui délivrer la réponse de la reine de Nebula. Mais dans ce cas-là, il me faudra sans doute une nouvelle escorte … Après tout, les routes n’étaient jamais sûres, surtout lorsqu’elles étaient proches d’un lieu aussi dangereux. Espérons que ce voyage-ci se passe sans rencontre de ce genre également.

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